• Les "films mortifères" d'Eastwood

    L'homme et la Mort...

    Les "films mortifères" d'EastwoodEn ce moment je suis en train d'explorer la filmographie de Clint Eastwood, acteur et réalisateur.

    Outre la (re)découverte de pépites cinématographiques comme Chasseur blanc, coeur noir ou Sur la route de Madison, le visionnage de ses films, que ce soit en tant qu'interprète ou réalisateur-producteur-acteur principal m'a amené à me pencher sur un fait qui n'a certainement pas échappé à certains d'entre vous : le rapport d'Eastwood avec la mort.

    On dirait que l'homme a un "compte à régler" avec le sujet : j'ignore si c'est l'influence de Sergio Leone - lui aussi semblait fasciné par la "Faucheuse" - ou s'il a connu personnellement une expérience traumatisante, mais Clint est souvent lié à la mort dans ses films, d'une manière ou d'une autre.

    Je ne parle pas bien entendu de la franchise "Dirty Harry" où les morts violentes font partie de la geste du film policier basique, je parle des personnages mourants, revenus d'entre les morts ou carrément surnaturels que notre acteur a interprété dans sa carrière.

    On peut dire que le premier film qui lia Eastwood et Leone, Pour une poignée de dollars, est déjà  un premier contact avec la mort, d'une manière... "factice" : lors du duel final, Gian Maria Volonté tire sur le héros qui s'écroule... avant de se relever. Ce manège se reproduira trois fois avant que "l'homme sans nom" n'écarte son poncho et montre l'origine du "miracle" : une plaque d'acier faisant office de "gilet par-balle".

    Il s'agit là bien sûr d'un trait d'humour noir typique du réalisateur italien, qui aimait lier la mort à ses personnages (je me pencherai un jour sur l'omniprésence des cimetières dans l'oeuvre leonienne). Dans Le Bon, la brute, le truand, Eastwood  alias Blondin, va frôler la mort à plusieurs reprises : manquant d'être pendu par Tuco (Eli Wallach), mourant de soif dans le désert, prisonnier des nordistes, ou pris dans la bataille près du cimetière où se déroulera le duel final, il ne devra à chaque fois la vie sauve que par des coups de chance souvent incroyables.

    Les "films mortifères" d'EastwoodDans Pendez-les haut et court de Ted Post, Eastwood, cow boy ordinaire, est lynché arbitrairement par des individus qui l'accusent de vol de bétail. Pendu, il ne doit la vie sauve que par l'intervention d'un marshal (Ben Johnson) qui va lui faire rencontrer un juge (Pat Hingle). Celui ci, après l'avoir blanchi de l'accusation, va lui proposer de se mettre au service de la loi. On peux voir ce film comme une "mise à mort" symbolique du personnage que l'acteur interprétait dans Rawhide : en pendant le cow boy, c'est Rowdy Yeates qui disparait. Apparait alors le personnage de justicier préfigurant les futurs rôles d'Eastwood.

    Les Proies (1971) est le film le plus étrange de la carrière d'Eastwood. Dans cette oeuvre de Don Siegel, notre ami est un soldat de l'Union qui, blessé lors d'une bataille, est recueilli dans un pensionnat de jeunes filles sudistes. L'ambiance est onirique, quasi surnaturelle : l'internat est éloigné de tout et n'abrite que peu d'élèves et trois femmes adultes seulement. On se doute que l'intrusion de cet homme - un ennemi - va chambouler l'école. Des symboles morbides apparaissent ça et là comme le corbeau attaché, l'enfermement du héros, à la merci de ses "geolières" elles-même prisonnières de leurs fantasmes.

    Les "films mortifères" d'EastwoodÀ mon avis, le soldat, mourant, est en train de "rêver" toute son aventure : le pensionnat et son gynécée est une création d'un cerveau moribond. Je donne cette explication sous réserve, bien entendu : d'autres visionnages pourront confirmer ou infirmer cette première impression. Toujours est-il que Les Proies fait partie à mes yeux des "films mortifères" de Clint Eastwood.

    Nous en venons à présent aux films réalisés par l'acteur : cela commence avec Un frisson dans la nuit, où une jeune femme déséquilibrée va littéralement pourrir la vie de l'homme qu'elle aime : l'atmosphère est bien entendu morbide, mais je ne mettrais pas ce premier film dans la catégorie de "films mortifères", car il s'agit plus d'un thriller avec une tendance au "slasher" à la mode (1971).

    Son deuxième film L'Homme des hautes plaines est déjà plus intéressant : dans le village de Lago, la population est terrorisée par des bandits qui ont assassiné un marshal à coups de fouet. Arrive un mystérieux étranger, qui va se faire respecter en tuant trois types qui l'asticotaient. En attendant l'arrivée des desperados , l'individu, devenu le "héros" de la ville, va se comporter en maitre... Mais pourquoi sursaute-t-il en entendant un claquement de fouet ? Pourquoi, lors du flashback sur la mort du shérif, celui ci lui ressemble ?

    Les "films mortifères" d'Eastwood

     

    Pale Rider (1985) est autant un hommage à L'Homme des vallées perdues qu'une variation sur le thème du film précédent : une communauté de chercheurs d'or est en bute aux exactions du terrible LaHood qui cherche à les chasser pour s'approprier leur terre. Suite à la prière de la jeune Megan, un mystérieux "Preacher" chevauchant un cheval gris apparait : il va démolir les hommes de LaHood et séduire la veuve d'un mineur et sa fille. Mais le plus intéressant se situe lors d'une scène : un tueur à gages est embauché par LaHood pour se débarrasser de ce gêneur. Juste avant le duel, l'assassin professionnel s'écrie, visiblement horrifié : "Toi ?" avant que le "Preacher" ne le tue. De plus, notre héros présente dans le dos des impactes de balles... Là aussi, aucune explication n'est avancée : le film se clos par le départ du personnage, tandis que la jeune Megan lui crie son amour.

    Les "films mortifères" d'EastwoodAvec Créance de sang (2002) nous avons une version moderne de l'homme revenu d'entre les morts : victime d'un infarctus, un profiler du F.B.I. est sauvé par une transplantation cardiaque. Il va découvrir que sa donatrice a été tuée lors d'un braquage, et que l'assassin pourrait être le tueur en série qu'il poursuivait lors de son accident cardiaque...

    Là, pas de phénomène surnaturel - le film est l'adaptation d'un roman policier de Michael Connelly - même si est effleuré l'idée d'un "lien" entre le donneur et le receveur d'un coeur. Eastwood "accuse" son âge : la voix plus rauque que jamais, le visage émacié, il donne à son personnage une fragilité tout à fait logique en la circonstance : on n'aurait pas cru à un type qui court et se bat avec aisance après une transplantation cardiaque ! Créance de sang rejoint donc la liste des "films mortifères" de l'acteur, dans le sens où le héros revient du monde des morts, mais cette fois par la grâce de la médecine.

    Dans Million Dollars Baby (2004), la mort n'apparait pas au premier abord, bien au contraire : c'est l'arrivée de la jeune Maggie (Hillary Swank) qui va "réveiller" le vieil entraineur Frankie Dunn joué par Eastwood. Entre eux va se développer une relation père-fille. Mais le drame va arriver : suite à une mauvaise chute sur le ring, Maggie va se retrouver paralysée, clouée sur un lit d'hôpital. C'est pour tenir une promesse et éviter de voir la jeune femme s'étioler que Dunn va commettre le geste à la fois mortel et libérateur. Puis, comme les héros de ses westerns, il disparait.

    Au début de Gan Torino (2008), Walt Kowalsky assiste aux obsèques de sa femme. Pendant la première partie du film, on voit un homme mort de l'intérieur : misanthrope, sourd aux conseils du jeune prêtre, raciste, il semble attendre la fin... Jusqu'à ce qu'il trouve sa raison de vivre : aider ses voisins asiatiques à faire face à une bande de loubards. Sa dernière scène deviendra avec le temps une des images les plus "iconiques" de Clint Eastwood : face aux voyous, il pointe un index, geste à la fois ridicule, enfantin, mais curieusement symbolique : il brave la mort à sa manière.

    Plus je regarde ses films, plus Clint Eastwood est, pour moi, la représentation de l'homme face à          la mort : ses personnages sont frôlés par la "Faucheuse" (Le Bon, la brute, le truand, Pendez-les haut et court, Créance de sang), surnaturels (L'Homme des hautes plaines, Pale rider), ou simplement des individus confrontés à leur destin (Million Dollars Baby, Gran Torino). Je n'ai pas abordé toute sa filmographie, mais il est possible que ce post connaisse des réactualisations ou des "suites" en fonction de mes futures découvertes.

    Les "films mortifères" d'Eastwood

     

    « Créance de sangL'Homme des hautes plaines »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 8 Octobre 2014 à 10:57

    Passionnant. Pertinent. J'ajouterai que la "Mystic River" qui traverse les Flats de Boston, le roman de Denis Lehane et son adaptation par Mr Eastwood, est décrite par Sean Penn (qui y a jeté un cadavre et s'apprête à en balancer un autre) comme "le lieu où finissent tous nos péchés". Le Styx, quoi... Sans oublier que le "preacher" de Pale Rider, s'éloignant à la fin, au lieu de galoper vers de nouvelles aventures, s'évanouit tout simplement de l'image. Vers quels limbes ?...

    2
    DANIEL
    Mercredi 8 Octobre 2014 à 16:46

    Pour " Les proies" ton interprétation est interessante : le film commence par des champignons et finit avec des champignons : visions hallucinatoires peut etre pour l interpréte principal : qui sait ! Maintenant la mort et l les rapports avec les femmes sont deux thèmes de prédiliction dans la filmographie de Eastwood et dans ce film on est servi...Pour les femmes il semble avoir réglé le problème en déclarant a la sortie du " Maitre de guerre': " C est le film ultime sur le masochisme au cinéma, mon personnage est un " connard " inculte dénué de tout intérét "....

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