Soleil couchant.

Dans la deuxième partie de ce post, nous avions laissé Akira Kurosawa à l'aube d'une carrière hollywoodienne : en effet, suite aux succès internationaux de ses films Rashomon, Les 7 samouraïs, et Yojimbo, le réalisateur nippon se voit offrir par les producteurs américains l'opportunité d'élargir encore son aura auprès des cinéphiles du monde entier.

Pour son premier travail outre-Atlantique, Kurosawa s'inspire d'un article du magazine "Life". Il débute le scénario de ce qui aurait été non seulement son premier film en couleur, mais aussi son premier film américain. Mais le problème de la langue devient un élément perturbateur et le scénario est inachevé alors que le tournage est prévu pour débuter en automne 1966. Repoussé puis finalement annulé, Runaway Train ne sera repris que vingt ans plus tard par Andreï Kontchalowski, sur un scénario totalement remanié.

Le réalisateur nippon travaille ensuite sur Tora ! Tora ! Tora ! fresque contant l'attaque de Pearl Harbor vue à la fois du côté japonnais et américain. Les producteurs lui avaient dit qu'il allait co-réaliser avec David Lean, mais en fin de compte, c'est Richard Fleischer qui s'occupe de la partie américaine du film. Le tournage débute en décembre 1968, après plusieurs remaniements scénaristiques.

Kurosawa ne restera que trois semaines en poste : ses méthodes de travail ne s'accordent pas à celle des américains, et à Noël 1968, il est écarté de la production, officiellement pour "fatigue", et remplacé par Kinji Fukasaku et Toshio Masuda.

Tora ! Tora ! Tora ! sort en 1970 et reste pour Kurosawa l'un des pires souvenirs de sa carrière : son nom est retiré des crédits alors que toutes les séquences japonaises sont celles dont il a co-écrit le script.

Fatigué et sans doute aussi profondément déçu, il revient dans son pays où une rumeur prétend qu'il a décidé d'abandonner le cinéma. Pour prouver le contraire, il s'associe avec trois amis, Keisuke Kinoshita, Masaki Kobayashi et Kon Ichikawa, avec qui il fonde une société de production, Le Club des Quatre Chevaliers.

Son premier film en couleur est Dodes'kaden, qui sort au Japon en 1970 : tourné très rapidement, mettant en scène les pauvres et les démunis, le film n'obtient pas le succès escompté et provoque la dissolution du Club des Quatre Chevaliers. À l'étranger, il rencontrera un succès d'estime. Il faudra du temps pour qu'on voit dans ce film l'une des meilleures oeuvres du cinéaste.

Kurosawa connait des difficultés à trouver le financement pour ses films à venir, et sa santé se dégrade. Le 22 décembre 1971, il fait une tentative de suicide puis abandonne le cinéma pour se consacrer à sa vie privée.

En 1973, les studios soviétiques Mosfilm proposent une co-production avec le Japon, et plus particulièrement avec Kurosawa. Celui-ci souhaite tourner un film basé sur le roman autobiographique de l'explorateur russe Vladimir Arseniev, dont il porte le projet depuis les années 30. En décembre 1973, le réalisateur de 63 ans s'installe alors en Union Soviétique avec quatre de ses collaborateurs et le tournage - éprouvant - de Dersou Ouzala débute en mai 1974 en Sibérie pour s'achever en avril 1975.

Kurosawa rentre épuisé au Japon ; le film sort fin 1975 et sera accueilli chaleureusement à l'étranger (Prix d'or du Festival international du film de Moscou, Oscar du meilleur film étranger).

Durant les années suivantes, craignant de ne pouvoir travailler de nouveau, il va écrire des scénarios, et créer des illustrations détaillées de ses projets afin de laisser derrière lui une empreinte visuelle de ses plans au cas où il ne pourrait les mettre en scène.

Bien que sollicité, il refusera de réaliser pour la télévision, et n'apparaitra que dans une publicité pour le whisky "Suntory".

C'est George Lucas et Francis Ford Coppola qui vont le tirer de sa semi-retraite : grands admirateurs du réalisateur, et choqués d'apprendre qu'il ne peut réunir les fonds nécessaires pour mettre ses projets en images, ils lui proposent de financer son prochain film.

Ce sera Kagemusha, l'ombre du guerrier (1980), qui obtiendra un grand succès aussi bien dans l'archipel nippon qu'à l'étranger : il sera entre autres Palme d'or à Cannes. Dans la foulée, Kurosawa prépare une autre fresque adaptée du Roi Lear de William Shakespeare, transposé dans un japon féodal. Ran sera co-produit cette fois par le réalisateur français Serge Silbermann. Sa production sera un temps stoppée, car Yokô Yaguchi, l'épouse du réalisateur, tombe gravement malade en janvier 1985. Elle décède le 1er février à l'âge de 64 ans.

Sorti en mai 1985 au Japon, Ran n'y connaitra qu'un succès modeste, mais sera encensé dans le reste du monde. En 1986, le Japon hésite à le présenter à la sélection pour les Oscars, du fait de sa co-production avec la France : sera-t-il considéré comme nippon ou français ? Finalement ce film n'obtiendra qu'un seul Oscar, celui des meilleurs costumes décernés à Emi Wada.

Akira Kurosawa estime pour sa part que "Ran est (son) meilleur film", alors qu'il réserve en général cette appréciation à sa prochaine production.

Justement, sa production suivante est également son oeuvre la plus personnelle : pour la première fois de sa carrière, il écrit seul le scénario, basé sur ses rêves : Rêves (Kurosawa's Dreams), co-produit par Steven Spielberg et Hisao Kurosawa, propre fils du réalisateur, sort en 1990 mais n'aura qu'un succès d'estime.

Suivront Rhapsodie en août (1991) sur les douloureux souvenirs d'une vieille japonaise ayant survécu au bombardement nucléaire de Nagasaki, et Madadayo (1993), d'après l'oeuvre de l'écrivain Hyakken Ushida, deux bandes qui parlent du vieillissement et de la mort.

Ces trois films, sans doute plus nostalgiques, n'obtiennent pas le succès escompté, ni au Japon ni ailleurs. Kurosawa écrit deux scénarios, La Mer regarde, et Après la pluie.

En 1995, Akira Kurosawa se brise la base de la colonne vertébrale et sa santé se détériore rapidement. Il décède le 6 septembre 1998 à Tokyo à l'âge de 88 ans.

Après sa mort, le réalisateur Takashi Koisumi met en images Après la pluie (sorti en 1999) et Kei Kumaï réalise La Mer regarde qui sort en 2002.

Un autre de ses scénarios, Dora-Heita, est réalisé par Kon Ishikawa, dernier membre vivant du Club des Quatre Chevaliers, et sort en 2000.