"Le drame fait vendre"...

Après avoir été renvoyé de toutes les grandes rédactions du pays, Chuck Tatum (Kirk Douglas), journaliste ambitieux et sans scrupule, se retrouve à végéter dans un journal local d'Albuquerque.

Alors qu'il est envoyé pour couvrir une chasse aux crotales, il va apprendre par hasard qu'un certain Léo Minosa (Richard Benedict) vient de se retrouver prisonnier suite à l'effondrement d'une grotte où il cherchait des objets Indiens.

Tenant là le moyen de devenir célèbre dans sa partie, Chuck va s'investir dans l'affaire, organisant les secours, s'attachant les pouvoirs du shérif du coin et s'appropriant la primeur des informations sur le drame, qui ne tarde pas à attirer la foule...

Le Gouffre aux chimères de Billy Wilder est un film d'une cruauté et d'un cynisme effrayant. En effet, le "héros" est un individu abject, égocentrique et fort en gueule, qui ne pense qu'à assurer sa propre gloire en utilisant un drame humain.

Mais c'est aussi le portrait au vitriol de notre société du spectacle, déjà présente dans les années 50 et qui est aujourd'hui en plein essor. "C'est le drame qui fait vendre" dit en substance Chuck à son jeune assistant (Robert Arthur) qui ne tarde pas à suivre aveuglément les préceptes de son ainé.

Seul le directeur du journal, joué par Porter Hall, représente la voix de la raison. Mais son discours est vite relégué derrière le sensationnalisme et lui-même avec ses principes ("Dire la vérité" est-il brodé dans un cadre de son bureau) sont déjà d'un autre âge.

Autre personnage important du film, l'épouse de Minosa, Lorraine (Jan Sterling) : cette femme vénale avait cru épouser un homme riche et se retrouve coincée dans un café faisant station-service. Dans un sens, elle ressemble à Chuck par son opportunisme : au début du film, elle s'apprête à quitter la région, et se ravise en comprenant qu'elle peux gagner de l'argent grâce aux touristes venus voir le terrible "gouffre aux chimères" retenant son mari prisonnier...

Billy Wilder nous tend un miroir, où se reflète le plus noir de l'âme humaine. Qui d'entre nous ne s'est pas passionné pour un fait-divers ?  Rappelons nous les mineurs chiliens... Le quidam aime jouer les voyeurs et surtout se prendre pour un acteur du drame via les informations dispensées par les médias. Le "grand cirque" n'est pas près de défaire son barnum, contrairement à la fin du film où, une fois le drame consommé, chacun rentre chez soi et seul, le père du malheureux Minosa erre dans le désert...

Notes :

Ce film porte deux titres originaux : Ace in the hole, choisi par Billy Wilder, désigne une carte maîtresse, un atout. Il s'agit aussi d'un jeu de mots : "ace" veut dire "as" et "hole" trou. De plus, il me semble que ce titre se rapproche du mot "asshole". Mais les producteurs, à l'insu du réalisateur, optèrent pour The Big Carnival ("Le Grand carnaval") qui convient aussi au film.  Aujourd'hui c'est surtout le titre de Billy Wilder qui est utilisé outre-Atlantique.

Le film est inspiré de deux faits-divers tragiques :

William Floyd Collins se retrouva prisonnier d'une galerie souterraine au Kentuky en 1925. Les efforts pour le sauver mobilisèrent non seulement les secours, mais aussi les journalistes qui tinrent en haleine tout le pays. Le cas est d'ailleurs évoqué par Douglas au début du film.

La petite Kathy Fiscus tomba dans un puits à San Marino (Californie) en 1949. Là encore, le caractère dramatique sera exploité par les journalistes.

Dans les deux cas, malheureusement, les victimes trouvèrent la mort dans l'accident.