• Les barbelés et les "Fence Cutting Wars"

    Petite invention, grands effets.

    Les barbelés et les "Fence Cutting Wars"

    L'Ouest sauvage... les immenses troupeaux parcourant la prairie, menés par les cowboys, employés des "Cattle Barons", ces gros propriétaires qui font leur beurre en vendant la viande de leurs bêtes dans l'Est...

    Cette image d'Épinal de nos westerns va connaitre un destin funeste qui s'amorce en 1862. Cette année-là, le gouvernement américain met en place le Homestead Act : afin de coloniser la Frontière, on autorise quiconque à s'installer sur 160 acres (65 Ha) de terre vierge, s'il s'engage à cultiver et à faire prospérer sa ferme durant 5 ans à l'issu desquels il en devient légitimement propriétaire.

    Venus de tout le pays - et même de l'étranger - des centaines de personnes vont ainsi peu à peu grignoter les immensités de l'Ouest. Mais un problème ne tarde pas à se poser : comment empêcher les troupeaux de venir manger et boire sur les terres devenues propriétés privées ?

    Le bois est rare sur la prairie de l'Ouest, encore plus sur les territoires du sud du pays (Texas, Nouveau Mexique), donc pas question de le gâcher pour en faire des clôtures...

    Les barbelés et les "Fence Cutting Wars"En 1873,  Joseph F. Glidden, habitant De Kulb dans l'Illinois, est tanné par sa femme qui lui demande d'empêcher les chiens de saccager son potager. Le fermier a l'idée d'entortiller de petites pointes métalliques dans un fil lui-même métallique. Son invention fonctionne, et il décide de la commercialiser.

    Il dépose son brevet le 27 octobre 1873 et créer une entreprise, la "Barb Fence Company". Pour l'anecdote, treize ans plus tôt, en 1860, un premier brevet concernant une "clôture légère hérissée de pointes acérées" est déposé en France par Eugène Glassin-Baledans, patron d'une entreprise de ferronnerie d'Arras.

    Comme souvent, une invention a plusieurs "pères" : ainsi, au Texas, un maraîcher du nom de John Grimminger utilisait déjà du barbelé "fait maison" dès 1857, tandis qu'un brevet était déposé la même année 1857 par un certain Lucien B. Smith de l'Ohio pour une clôture constituée de tiges de fer parallèles garnies à intervalles réguliers de croix métalliques pointues.

    Comme il fallut s'y attendre, des procès opposèrent les différents inventeurs, mais ce sera Glidden qui passera à la postérité avec son fil de fer barbelé.

    Au début, les fermiers ne sont pas tellement convaincus par ce "barb wire" ; ils craignent surtout que les bêtes ne se blessent grièvement à son contact.

    C'est alors qu'entre en scène un représentant ingénieux et opiniâtre : travaillant pour Glidden, John Gates ne va pas lésiner sur les arguments de vente. À San Antonio (Texas), il organise une démonstration impressionnante : dans un enclos entouré de "barb wire" il fait entrer 25 bovidés, puis deux hommes tenant des torches enflammées pour effrayer les animaux. Ceux-ci se bousculent et s'affolent, mais pas un seul ne sera blessé par les fils barbelés...

    Cette démonstration se fera bien sûr un jour de marché aux bestiaux, sous les yeux d'une centaine de badauds...

    Très vite, le carnet de commande de Glidden se remplit. Grâce à des machines, il parvient à produire en quantité. S'ensuit un abaissement des prix d'achat du fil barbelé qui est par conséquent de plus en plus utilisé par les petits propriétaires... au grand dam des "Cattle barons", farouchement attachés à l'idée de "l'open range", les bêtes divagant et s'engraissant dans la prairie avant d'être rassemblées pour être menées vers les abattoirs de l'Est.

    Très vite, des tentions apparaissent. C'est le début des "Fence Cutting Wars", notamment au Wyomming, au Texas et au Nouveau-Mexique durant les années 1880 et parfois jusqu'au début des années 1890.

    C'est surtout au Texas que le conflit prend de l'ampleur : les cowboys sont chargés de couper les fils barbelés qui empêchent les troupeaux d'accéder aux pâturages et aux points d'eau, et bientôt des milices se faisant appeler "Owls", "Blue Devils" ou "Javelinas", sont employées pour détruire les clôtures.

    Les barbelés et les "Fence Cutting Wars"Les autorités locales cherchent en vain à désarmer le conflit : tentatives de rapprochement entre les gros propriétaires et les petits fermiers, procès à l'encontre des "coupeurs de clôtures", emplois des "Texas Rangers", rien n'y fait : les dégâts causés dans tout l'État s'élèveront à plus de 20 millions de dollars à l'automne 1883.

    Excédé, le gouverneur du Texas, John Ireland, convoque une cession extraordinaire de son cabinet en janvier 1884. Il fait voter une loi stipulant que toute clôture posée illégalement doit être retirée dans les six mois suivant la date de mise en place du décret, tandis que la coupure d'une clôture est passible d'une peine de 5 ans de prison.

    De fait, des pourparlers s'engagent entre les deux parties, des accords s'établissent, notamment sur la mise en place de passages à intervalles réguliers le long des clôtures.

    Au Nouveau-Mexique, la "guerre des clôture" se double de tensions entre deux ethnies : les "mexicanos" et les "anglos", plus particulièrement lorsque des ranchers américains se réunissent en compagnies et investissent les terres vierges dans les années 1880. En 1887 dans le comté de San Miguel, un conflit opposant un certain Philip Millhiser et un dénommé Padilla débouche sur un procès : le premier estimant avoir racheter légalement des terres de propriétaires les ayant acquis selon le "Las Vegas Land Grant", le second argumentant que Milhiser devait demander l'assentiment de toute la communauté.

    Au cours des deux années que durèrent le procès, les "anglos" continuèrent d'ériger des barbelés sur les terres litigieuses, obtenant des parcelles allant de 1 000 à plus de 10 000  acres. Avant que le jury ne se prononce, le conflit prit une tournure plus violente, avec des coupures de clôtures, des échanges de tirs et l'incendie d'une ferme.

    Le 3 mai 1889, 21 coupeurs de clôtures furent inculpés. Le président du jury, Long, était un homme d'affaires qui encourageait la croissance économique et par conséquent il demanda une sanction sévère à l'encontre des "fence cutters". Mais une foule encercla le palais de justice et la prison, le jury rendit un verdict de non-culpabilité pour l'un des inculpés, tandis que les charges furent rejetées pour les 20 autres.

    Néanmoins, les gros propriétaires américains continuèrent d'acquérir les terres du Nouveau-Mexique malgré les actions des petits propriétaires mexicains, qu'elles soient pacifiques (pétitions) ou plus énergiques (recours à la violence). Peu à peu, les mexicains furent dépossédés de leur terre devant l'inaction des autorités.

    Les barbelés et les "Fence Cutting Wars"Mine de rien, le barbelé a bouleversé le paysage, mais aussi la vie dans l'Ouest sauvage. Les "cattle barons" se mettent à l'utiliser à leur tour.  Les bêtes, maintenues parquées, ne s'égarent plus et il n'était plus besoin d'employer beaucoup d'hommes pour les surveiller et les déplacer.

    Peu à peu, les cowboys mettent pied à terre. Beaucoup d'entre eux sont contraint de changer de métier. Certains deviennent fermiers, d'autres se lancent à leur tour dans l'élevage. La clôture concrétise la propriété, annonce la civilisation. L'Ouest sauvage a vécu, vaincu par un morceau de fer...

    Depuis le XIXème siècle et jusqu'à aujourd'hui, le fil de fer barbelé est un outils de pouvoir. Il délimitera les réserves indiennes aux États-Unis, et enfermera d'autres populations humaines, comme lors de la Guerre d'Indépendance de Cuba (1895-1898) ou La Guerre des Boers (1899-1902).

    Durant la Première Guerre Mondiale on le retrouve au sommet des tranchées. Il a également le triste privilège de délimiter les camps d'internement ou de concentration lors de la Seconde Guerre Mondiale. Il est toujours utilisé, que ce soit dans les prisons ou dans les camps de détention un peu partout dans le Monde.

     

    Les barbelés et les "Fence Cutting Wars"De nombreux westerns ont évoqué la Fence Cutting War, citons deux des plus emblématiques :

    L'Homme qui n'a pas d'étoile (1955 - King Vidor) avec Kirk Douglas, Jeanne Craine et William Campbell.

    Les Grands espaces (1959 - William Wyler) avec Gregory Peck, Jean Simmons et Caroll Baker.

     

    Côté BD, c'est bien entendu le duo Morris et Goscinny qui s'est penché sur le problème, avec l'album "Des barbelés sur la prairie", 43ème aventure de Lucky Luke.

    Les barbelés et les "Fence Cutting Wars"

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Note : une grande partie de ce post a pour source un article parut dans le magazine "American Legend" (#18 - Juin-juillet-août 2018)

     

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