Polar ambiguë contre... hamburger-film !

À l'occasion de l'anniversaire de Charlie, j'ai eu l'idée de revoir Le Flingueur. En fait, cette envie de me replonger dans ce classique du polar me titillait depuis que j'avais vu le remake.

Mais j'ai préféré attendre, et j'ai eu raison. Car voir les deux films dans un laps de temps trop court aurait été à mon avis une grave erreur, comme vouloir boire un bon vin après avoir sifflé une cannette de soda.

Le film de Winner se déguste, en effet, comme le petit vin italien que 'Bishop' apprécie particulièrement. Et c'est parce qu'il est quasi parfait que la comparaison avec l'immonde brouet que nous sert Simon West ne peut tenir : le film originel est bourré d'esthétisme, d'ambiguïté, de maitrise du sujet.

Ainsi, Arthur Bishop', dans les deux films, apprécie la musique classique. Mais le personnage qu'en brossent Winner et le scénariste Lewis John Carlino (d'après son propre roman) est complexe, avec des faiblesses (ses insomnies, ses malaises). Le 'Bishop' joué par Statham est une sorte de "super-héros tueur", un être sans beaucoup de personnalité, sans nuance.

Je voudrais aborder aussi l'ambiguïté du film originel, non le "crytpo-gay",  mais le monde dans lequel évoluent les personnages : nous y voyons des mafieux qui ont établis une sorte "d'aristocratie du crime", avec ses règles et son mode de vie luxueux. Dans le film de 2011, le héros travaille pour une sorte de société secrète dont le but est de tuer des "méchants" (trafiquants de drogue ou d'armes, gourous, etc...) Dès lors, au nom du "politiquement correct", l'histoire est biaisée, et tombe à plat. Plus de fascination trouble pour le mal, plus de tueur esthète qui fume la pipe en admirant les tableaux de J. Bosch. Il est vrai qu'en quarante ans, le tabac est devenu  tabou et Bosch n'intéresserait pas un jeune nourri à la téléréalité.

Parlons maintenant de l'ambiguïté sexuelle : alors qu'elle est une composante du roman, Winner a -judicieusement - préféré la mettre en filigrane : j'ai lu que la scène avec la call-girl (jouée par Jill Ireland) avait été rajoutée pour rassurer le public. Pourtant, la première apparition de Jan Michael Vincent dans le film est on ne peut plus explicite. De plus, le personnage de 'Steve' est, pour moi, un psychopathe pur et dur, un homme qui aime voir la souffrance : la scène du suicide de sa petite amie est révélatrice - je me demande d'ailleurs si elle n'a pas été remaniée pour que le film évite la censure.

Dans le remake, Steve (joué par Ben Foster) est juste un jeune désoeuvré qui se dit que "jouer les tueurs serait sympa". Plus de trace de psychopathie, ni de sous-entendu gay. Le politiquement correct est passé par là aussi, et ça fait mal !

Voyons enfin la forme des deux films : celui de Winner, même s'il s'offre une poursuite en moto d'une longueur exagérée, est plutôt bien construit, avec un "twist" final inoubliable. Le remake se résume à un gros film rempli de fusillades et d'explosions avec des héros qui courent, qui sautent, qui mitraillent...

Résultat : Le Flingueur de Michael Winner se reverra toujours avec un plaisir de gourmet, alors que le "hamburger-film" de Simon West est déjà oublié... Dire qu'il y en aura un deuxième...