Une histoire de fous... et de "gros sous" !

Dans le milieu du cinéma, il y a des histoires étranges, des drames terribles, des films "maudits". C'est le cas de L'Homme qui tua Don Quichotte, réalisé par Terry Gilliam et dont j'ai si souvent entendu parler ça et là dans les magazines spécialisés ou sur le Net que j'ai fini par me persuader qu'il ne verra jamais le jour.

Et pourtant, il se pourrait qu'il soit présenté en clôture du Festival de Cannes le 19 mai prochain... mais rien n'est moins sûr !

Tout d'abord, retour en arrière :

1990. Terry Gilliam a l'idée folle d'adapter le livre de Cervantès "Don Quichotte de la Mancha". Il propose le projet au producteur Jake Eberts. Après avoir obtenu son approbation, il lit le roman et se rend compte qu'il est impossible à adapter. Qu'à cela ne tienne il décide de mêler l'intrigue originale à celle du roman de Mark Twain "Un Yankee à la cour du roi Arthur". Le scénario est écrit par Tony Grisoni.

Il part ensuite à la recherche de fonds, et comme le tournage se fera dans le nord de Madrid avec un casting  principalement européen, les firmes Pathé et Canal + sont sollicitées. Un producteur allemand, Rainer Mockert, se propose également grâce à un fond d'investissement privé, qui n'arrivera jamais. Gilliam doit reporter le tournage prévu pour 1999 et repartir à la chasse à l'investissement.

Le budget du film est enfin bouclé en janvier 2000. Au casting, Jean Rochefort dans le rôle de 'Don Quichotte', Johnny Depp dans celui de 'Toby Grossini' (un publicitaire se retrouvant accidentellement propulsé aux côtés du héros de Cervantès), Vanessa Paradis en 'Dulcinée', les acteurs britanniques Christopher Eccleston, Miranda Richardson et Bill Paterson.

Le tournage commence enfin en octobre 2000 sur un site désertique du nord de Madrid, près d'une base aérienne de l'armée espagnole, dont le passage des appareils perturbe les prises de vue. Deux jours plus tard, des pluies diluviennes détruisent une partie du matériel de tournage et le désert reverdit, poussant l'équipe à chercher un autre lieu.

Entre temps, Jean Rochefort se retrouve avec une double hernie discale et doit abandonner le rôle. Il accusera par la suite Terry Gilliam d'avoir fait mourir de faim le cheval qui devait "jouer" Rossinante.

Devant tant de problèmes, les producteurs s'inquiètent et demandent des comptes au réalisateur qui finit par abandonner le projet. Ne reste alors de cette aventure qu'un documentaire, Lost in La Mancha, rassemblant les "rushs", les images rassemblées sur le tournage par Keth Fulton et Louis Pepe qui devaient faire le "making of" du film, et les interview des protagonistes.

Mais Terry Gilliam n'a pas complètement abandonné l'idée de faire ce film. Il récupère les droits du scénario en 2008 et le réécrit avec Grisoni. Le personnage de 'Toby Grossini' devient un cinéaste frustré qui sera joué par Ewan McGregor. Robert Duvall reprendra le rôle du "Seigneur de la Mancha". Mais là encore, faute de financement conséquent, le projet est abandonné en 2011.

Le réalisateur profite néanmoins d'une interview fin 2011 pour annoncer que le film est toujours prévu. Cette fois, Ewan McGregor cède la place à Owen Wilson et le tournage prévu au printemps 2012. Mais là encore le projet tombe à l'eau faute de financement et Gilliam tourne Zero Theorem à la place.

Mais Gilliam est tétu. Il reprend le scénario, fait de 'Toby Grossini' le personnage principal, un réalisateur qui, après avoir fait un film sur Don Quichotte, se rend compte que ses acteurs sont devenu fous par la faute du tournage.

Nous sommes alors en 2014. John Hurt et Jack O'Connelll sont au casting. Le budget prévu est        de  21 000 000 $. Le producteur espagnol Adrian Guèrra échoue à rassembler les fonds. John Hurt se voit diagnostiquer un cancer du pancréas durant l'été 2015, les assurances refusent de le couvrir pour ce film qui va de nouveau se retrouver dans les limbes des oeuvres "maudites".

Terry Gilliam et Tony Grisoni réécrivent le scénario deux fois par an environ. En février 2016, le producteur Paolo Branco reprend le projet et propose un minimum de 16 millions d'Euros. Les rôles principaux reviennent à Adam Driver ('Toby') et Michael Palin ('Don Quichotte') et le tournage commence en octobre 2016.

Las ! L'entente entre le réalisateur et le producteur tourne très vite à l'aigre. Gillian accuse Branco de vouloir s'accaparer le côté créatif du film tandis que le second traite le premier "d'enfant gâté". L'un veux continuer à tourner sur pellicule tandis que l'autre désire utiliser une caméra numérique et cherche à évincer l'assistant-réalisateur ainsi que Palin.

Le réalisateur parvient à trouver d'autres producteurs pour continuer son film mais Branco estime alors que l'oeuve lui appartient et fait appel à la justice.

L'Homme qui tua Don Quichotte est achevé et monté, mais c'est aujourd'hui 7 mai 2018 que le tribunal de grande instance de Paris, saisi par Paolo Branco,  décidera s'il peut être présenté à Cannes et exploité en salles.

Compte-tenu de toutes les difficultés traversées par Terry Gilliam pour ce film, on se dit que le métier de réalisateur comporte bien des similitudes avec les aventures de ce héros fou qui se battait contre des moulins à vent...